Phinéas Gage, patient Star !
Il est des patients qui, dans une discipline, traversent les époques. A l’instar du « Petit Hans » , le célèbre patient phobique de Freud; Phineas Gage est le cas clinique en neuropsychologie.
Gage, le « point Godwin » de la neuropsychologie
Depuis plus de 150 ans, l’histoire de ce contremaitre des chemins de fer n’en finit plus d’être revisitée. Lorsqu’un élément biographique ou anatomique de Gage est exhumé, lorsqu’une recherche est publiée, surgit alors…Phineas Gage.
L’accident de Gage, une traversée du cerveau humain
Nous sommes l’après midi du 13 Septembre 1848, Phineas Gage travaille à la construction d’une ligne de chemin de fer dans la périphérie de Cavendish dans le Vermont aux États-Unis. Manipulant une barre à mine mesurant 1m10 pour 3 cm de diamètre et 6Kg, fuselée en son extrémité, Gage bourre de dynamite la faille d’un rocher. La barre à mine heurte le rocher et met le feu aux poudres. L’explosion propulse la barre qui perfore son crâne depuis sa pommette, sous son oeil gauche, pour ressortir au sommet de son crâne, après avoir traversé complètement son lobe frontal.
Et il survécut (attention spoiler !)
Suite à l’accident, il reste conscient sur le trajet vers Cavendish, où il est pris en charge par le Dr Harlow. Son état est instable plusieurs jours du fait d’infections mais il déjoue ensuite tous les pronostics lui promettant mort certaine à court terme. Le Dr Harlow dira :‘I dressed him, God healed him’ («Je l’ai pansé, Dieu l’a soigné»).
Bien qu’ayant perdu l’usage de l’œil gauche, il semble recouvrer rapidement toutes ses capacités : Il ne souffre d’aucun trouble neurologique : pas de paralysie, sa démarche est assurée et il parle très bien. Au delà de cette rémission étonnante, ce qui rend le cas Gage si célèbre, c’est le changement de « caractère » constaté chez lui par la suite.
« Gage n’était plus Gage »
Phineas Gage était, jusque son accident, décrit comme attentionné, sociable et fiable. Son accident semble avoir eu des effets négatifs sur son comportement émotionnel, social et personnel : le Dr Harlow, qui l’a suivi durant de longs mois, dépeint une personnage instable et asocial. Gage n’a plus la même personnalité, il est devenu grossier, capricieux, impatient et obstiné. Harlow rapporte qu’il se comporte « comme un enfant », qu’il a « les pulsions animales d’un homme vigoureux ».
Bien que controversés, les éléments biographiques de la vie post-accident restituent un Phineas Gage versatile, au caractère transfiguré, toujours par monts et par vaux. Il est d’abord rapidement renvoyé de sa compagnie. Puis, on parcours chaotique l’amène à travailler dans l’élevage de chevaux, puis comme conducteur de diligence à Santiago en Amérique du Sud.
Un cas exemplaire en neuropsychologie
Ce qui rend cet accident si central, c’est sa concomitance avec l’étude scientifique moderne du cerveau. Au milieu du 19ème siècle, deux courants s’opposent : les neurologues holistes et localisationnistes. Les premiers appréhendent le cerveau comme un organe indifférencié tandis que les seconds pensent le cerveau en zones spécialisées.
Parmi les partisants de cette approche, aujourd’hui avérée, nous pouvons citer Paul Broca, médecin à l’hôpital du Kremlin-Bicêtre, qui a démontré au début des années 1860 le lien entre une région spécifique du lobe frontal gauche et l’élocution (on parle aujourd’hui d’aire et d’aphasie de Broca). On peut imaginer, Gage ayant gardé cette aptitude intact, que cette aire spécifique du langage n’a pas été affectée lors de son accident.
La célébrité de cas, outre son caractère spectaculaire, est sans doute lié aux découvertes et controverses contemporaines. A l’image du cas du Petit Hans qui décrit bien plus la théorie Freudienne que la singularité d’Herbert Graf (son véritable nom); les innombrables publications sur Phineas Gage retracent davantage l’histoire de la neuropsychologie que celle de ce contremaitre accidenté. Ces patients sont des cas paradigmatiques.
L’introduction de la neuropsychologie moderne des fonctions exécutives
Les changements comportementaux observés chez Gage par le Dr Harlow l’ont amené à penser que la fonction atteinte serait responsable de “ l’équilibre entre ses facultés intellectuelles et ses pulsions animales”. L’impulsivité et l’irresponsabilité du « Gage post accident », est un exemple démonstratif et impressionnant de troubles du comportement induits par une lésion du cortex préfrontal.
A son insu, Gage indiquait qu’une partie du cerveau se rapportait spécifiquement à certaines fonctions propres à l’homme, dont l’inhibition, la planification, le contrôle; mettant notamment en jeu les dimensions sociales et personnelles du raisonnement.
Ces fonctions sont désormais bien connues en psychologie et sont appelées fonctions exécutives. Elles désignent un ensemble assez hétérogène de processus cognitifs de haut niveau. Ils permettent de faire varier le traitement de l’information et le comportement à chaque instant en fonction d’objectifs. Les fonctions exécutives sont à la base des comportements adaptatifs.
Bonus, l’accident de Phinéas Gage reconstitué en Stop-Motion par des étudiants