[Recrutement] Méfiez vous du coup de coeur en entretien
Les managers connaissent leur cœur de métier, leurs besoins en termes de compétences. Ainsi, lors d’un recrutement, les connaissances des candidats sont passées au crible, comparées voire vérifiées. C’est une variable nécessaire, mais loin d’être suffisante. Explications:
« En face de moi-même, je m’aime »
Prenons l’exemple de la rencontre amoureuse. Comme lors d’un recrutement, l’erreur de « casting » est évidente après coup mais indécelable les premiers temps. Bien souvent, aucun des protagonistes n’a intentionnellement dupé l’autre, car tout simplement, la rencontre n’a pas (encore) eu lieu. C’est ce que Freud analyse en décrivant la « figure de la passion », temps où l’autre sert de « porte manteau » de ses propres attentes (ou narcissisme primaire pour les cuistres). Cet aveuglement nécessaire n’est pas le début de la rencontre, c’est ce qui la précède.
La passion laisse ensuite la place, à bas bruits, à la rencontre réelle. On y perd l’intensité de l’illusion mais on reprend les rênes. Être passionné est aujourd’hui un terme positif mais si on en fait la généalogie, on découvre un tout autre sens : passion vient du verbe latin passior signifiant « un ensemble d’états dans lesquels un individu est « passif », par opposition aux états dont il est lui-même la cause ». Dans son sens classique, se laisser aller à ses passions (pulsions?) renvoie à une altération du jugement, une forme d’ivresse.
De la nécessité de fendre l’armure
En entretien de recrutement, le candidat tente intuitivement de se muer en porte manteau parfait. Mais la lune de miel a une durée de vie très limitée, tôt ou tard la personnalité prend l’ascendant sur le talent et les compétences. Quelques soient les efforts déployés pour étouffer ses traits, ceux ci remontent à la surface, au galop le plus souvent. Personne ne supporte d’être trop discordant dans le temps.
En psychologie sociale, on parle de « dissonance », qui apparaît lorsque les « émotions ressenties par l’employé au travail discordent avec les normes de comportements organisationnelles qu’il sait devoir suivre » (van Hoorebeke*, 2003). Cette tension psychologique sera de moins en moins tolérée et met inéluctablement des symptômes à l’agenda : d’aucuns combleront cet écart par le conflit, d’autres somatiseront. bref, chacun sa partition.
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Une mesure objective
Les traits d’une personnalité étant plus stables que ses compétences, l’ajustement entre le fonctionnement d’une personne et celui du groupe de travail s’avère être d’une importance bien plus grande que son diplôme : on peut toujours renforcer les compétences et les connaissances d’un employé mais vouloir modifier ses traits de personnalité serait une entreprise vaine voire inadaptée au contexte professionnel. Ainsi, une personne ayant goût aux changements organisationnels et ouverte aux expériences sera peu encline à se fondre dans des process de travail verticaux et figés. A l’inverse, une personne disciplinée et rigoureuse sera en inconfort si son poste exige flexibilité et créativité au premier plan.
L’évaluation de la personnalité propose une mesure objective émanant du candidat lui-même. Les traits atypiques de sa personnalité, en tâche aveugle dans un entretien non étayé, vont être éclairés et discutés lors de l’entretien afin de précipiter la rencontre réelle.
Restriction ou opportunité ?
Les traits de personnalité, notamment dans les outils issus des Big Five, ne proposent ni jugement ni classement, mais permettent de cibler quels sont les domaines et facettes pour lesquels un candidat dénote face à la norme. Cela peut être un trait en adéquation avec le poste autant qu’un aspect discordant face aux attentes. Il est alors judicieux que ce point soit évoqué afin d’éviter tout malentendu. Par exemple, l’Extraversion et l’Agréabilité sont probablement des facteurs facilitant l’exercice du métier de commercial alors qu’un score élevé en Conscience sera nécessaire pour un poste de programmeur.
Notre culture d’entreprise teinte souvent négativement les évaluations, ne percevant que la sanction ou le potentiel éliminatoire des outils dans le cadre du recrutement. Pourtant, le bénéfice est réciproque. Qu’il s’agisse de l’entreprise ou du futur salarié, les deux parties doivent trouver chaussure à leur pied. A coté du ressenti et de l’intuition, laisser une place à l’objectivité est un bon garde-fou. L’évaluation n’est qu’un outil dans le process de recrutement et doit rester à cette place de boussole; mais elle s’avère indispensable pour réduire la zone d’incertitude inhérente à l’activité humaine.
M.B.
*Pour aller plus loin sur cette notion, vous pouvez lire l’article de Delphine Van Hoorebeke sur la dissonance émotionnelle au travail (2005).
Source : Hogrefe
Mots-clefs : Personnalité ; Recrutement