Autisme : l’épreuve du contact visuel
Si, pour beaucoup de personnes, regarder quelqu’un dans les yeux est un non-événement, cette interaction peut être éprouvante, provoquer de l’anxiété ou du dégoût pour des personnes fonctionnant sur le spectre autistique.
L’inquiétante étrangeté
C’est le malentendu de départ dans la relation. Généralement, regarder l’autre dans les yeux permet de jeter les bases de la rencontre. Cet échange de regards renferme une multitude d’informations, d’usages et de règles sociales, préalable nécessaire à l’ouverture d’une communication verbale. Mais sans ce premier contact visuel correspondant aux codes culturels en vigueur, l’accès à l’autre sera parasité par une série de réactions.
Si vous entrez en interaction avec une personne qui n’établit pas de contact visuel, inconsciemment, vous serez en inconfort car plongé dans une situation inconnue. Vous allez ensuite déployer des mécanismes psychiques destinés à convertir cette inquiétante étrangeté en situation familière. Le premier réflexe est d’interpréter cette « non-communication » visuelle comme un comportement asocial.
Ensuite chacun projette ses propres fantasmes : une attitude hostile, une forme de soumission, un comportement grossier. Bref, avant même qu’un premier mot ne soit prononcé, des représentations et des projections vont poser un filtre qui conditionnera les échanges.
Derrière le miroir
Et si on renversait le point de vue ? Que se passe-t-il pour la personne, atteinte d’autisme, lors de ce contact visuel ?
Dans son article (The Mighty), Melissa McGlensey recueille les témoignages de personnes autistes face à cette expérience. Si les récits sont singuliers sur la forme, ils traduisent tous un vécu intrusif : « Ça peut se ressentir comme si vous étiez là nu. » nous dit Megan Klein. Plus généralement, soutenir un regard est décrit comme contre-nature, menaçant voire dégoûtant.
Sur sa page Facebook, Alex Lowery développe cet aspect : « Je le ressens comme si quelqu’un regardait directement au plus profond de votre âme. Voilà pourquoi il m’était habituellement absolument insupportable et l’est encore dans certaines circonstances ».
Les stratégies d’évitement
L’expérience du contact visuel est d’une intensité extrême, et va rapidement submerger l’individu qui ne peut contenir ce trop-plein sensoriel :
« Regarder quelqu’un d’autre dans l’œil signifie que j’incorpore tout sur eux en tant que personne, et je deviens surchargé. C’est un flux constant d’informations sensorielles ou de traitement supplémentaires au dessus de ce que je suis déjà en train d’essayer de trier dans ma tête. Ça peut perturber tout processus de pensée ou de parole qui sont en cours et élimine rapidement mon énergie. » Laura Spoerl
Ainsi, en recueillant des témoignages, on retrouve une autre constante : les stratégies de contournement et de compensation pour satisfaire aux exigences sociales tout en évitant cette situation insoutenable. Pour une personne autiste, soutenir un regard mobilise tellement qu’il devient nécessaire de s’en détourner pour se concentrer sur le contenu de l’échange et avoir la possibilité de le mémoriser.
« Le contact visuel est difficile pour moi parce que je suis facilement submergé par beaucoup d’entrées (inputs) différentes. Quand je suis en train d’écouter, de suivre, ou de contribuer à une conversation ou tout simplement de gérer toutes mes sensibilités différentes, il est plus facile, plus confortable et moins douloureux pour moi de ne pas faire de contact avec les yeux. J’écoute et me concentre mieux quand je ne fais pas de contact avec les yeux. »- Erin McKinney
Le contact visuel, un signe clinique précoce
Le plan Autisme 2017 a pour ambition de proposer des prises en charges plus efficientes en généralisant les diagnostics précoces en France. Or, aujourd’hui, l’âge moyen d’un diagnostic de trouble autistique se situe entre 4 et 5 ans. Pour repérer ce trouble plus précocement, le Plan Autisme recommande certains outils d’évaluation comme l’ADOS-2 : cette échelle propose des activités standardisées pour évaluer de nombreux aspects (communication, l’interaction sociale réciproque, le jeu, le comportement stéréotypé,…), permettant ainsi un diagnostic de l’autisme et des TSA dès 12 mois.
Parmi ces champs d’observation, on retrouve « l’Interaction Sociale Réciproque ». Le premier item coté pour cette évaluation concerne le « Contact Visuel Inhabituel ». L’idée est d’établir, au moyen d’une échelle graduée, une distinction entre un regard « net, flexible, socialement modulé et approprié ayant différents objectifs »; et d’autre part un regard « limité en flexibilité en pertinence ou en contexte ».
Plus généralement sur le plan visuel, on parle d’un regard « fuyant », qui traverse mais ne se pose nulle part. La notion de « regard latéral évitant » est également utilisée pour décrire cette manière de balayer rapidement du regard en privilégiant la vision latérale, ce qui donne l’impression que ni les gens, ni les objets, ni les situations ne sont perçues. A l’inverse, une tache ou une forme peut provoquer une forme de fascination extrême.
Mlk
NB : Les citations sont extraites de l’article de Melissa McGlensey (The Mighty) dont vous pouvez lire une traduction complète sur le blog Médiapart de Gilles Bouquerel.
En savoir plus :
> 16 People With Autism Describe Why Eye Contact Can Be Difficult, Melissa McGlensey, The Mighty
> Autisme et contact visuel : tu veux ou tu veux pas ? Gilles Bouquerelle, blog Mediapart
> ADOS-2, Échelle D’observation Pour Le Diagnostic De L’ Autisme (Editions Hogrefe)
> Plan autisme 2013 – 2017 (PDF)